Les communautés estudiantines sont des petites représentations de la société et de l’histoire d’un pays. A ce titre, le Séminaire biblique de Colombie (FUSBC) incarne des aspects tels que la joie, l’amitié et un certain “réalisme magique” que l’on retrouve en Amérique latine. Le programme de théologie du séminaire tire son origine à la fois de la rigueur des livres et de l’expérience d’être colombien. Par exemple, pratiquement tous ceux qui sont passés par nos salles de classe se souviendront de la désormais célèbre “nuit des régions”, qui présente le meilleur de chaque région géographique et culturelle du pays. Des danses folkloriques, de la musique, de l’humour et de délicieuses spécialités culinaires régionales en font la fête la plus attendue de l’année.
Mais tout n’est pas que fête. En dépit de ces sourires, les Colombiens portent aussi de profondes blessures causées par des conflits historiques vieux d’un siècle. La Colombie a d’ailleurs connu le conflit armé interne le plus long au monde. En conséquence, ce pays compte aujourd’hui la plus importante population déplacée interne.
La nation a fait de grands progrès pour renverser l’impact culturel laissé par le trafic de stupéfiants dans les années 80. Par exemple, notre ville natale de Medellin est passée du statut de ville la plus violente au statut de ville la plus innovante du monde. Cependant, de nombreuses cicatrices subsistent. Dans l’église, et donc dans la communauté du séminaire, nous subissons également les effets de la turbulence sociale colombienne.
Les paragraphes suivants présentent des réflexions tirées de l’expérience acquise au service de cette communauté du séminaire dans l’espoir qu’elles seront utiles à d’autres personnes qui servent dans des communautés en proie à des situations complexes ou des réalités de conflits similaires. Ils enrichiront certainement ceux qui n’ont pas eu à souffrir.
Le Pouvoir de Guérison de la communauté
Dans une école qui prépare les étudiants au service de Dieu et des autres, le programme scolaire, avec toute son importance et sa priorité, ne répond pas à tous les besoins des membres de la communauté scolaire. Un contexte de conflit amplifie cette réalité. Les étudiants arrivent au séminaire en ayant des antécédents très différents, beaucoup d’entre eux ont subi un traumatisme profond. Les étudiants apportent des expériences de leur propre déplacement intérieur, de la mort violente d’êtres chers ou de la violence physique et psychologique. L’institution a donc l’obligation de prendre conscience de ces situations et d’apporter son aide là où elle peut.
Au FUSBC, nous avons réagi sur le plan institutionnel en créant un Service du bien-être communautaire qui est responsable des soins pastoraux et professionnels aux personnes qui ont besoin de ces prestations. Si une situation nécessite une intervention professionnelle, le séminaire organise l’accès à un spécialiste. Offrir de tels soins nécessite une approche individuelle. Les résultats ont à la fois donné de la satisfaction et aussi quelques frustrations profondes, mais tel est le coût inévitable du travail dans la partie mystérieuse de l’être humain qu’est l’âme.
D’après notre expérience, cependant, le meilleur pouvoir curatif provient de la communauté. Les familles ouvrent leur maison pour offrir un couvert à un étudiant démuni. Les étudiants bénéficient de la proximité de personnes ayant une expérience plus significative de leur vie et de leur cheminement dans la foi. Des années d’études et de vie commune tissent de profondes amitiés entre les étudiants et le personnel. La solidarité qui se développe entre voisins a un pouvoir curatif que les instruments plus formels – aussi nécessaires et efficaces qu’ils puissent être – ne pourront jamais produire.
Sarita (tous les noms sont fictifs afin de protéger l’identité des individus), un bébé né avec de graves problèmes de santé, illustre notre expérience communautaire. Dans leur désir d’avoir un enfant, les parents de Sarita ont expérimenté plusieurs années de fausses couches. Finalement, après une grossesse compliquée, ils ont connu la naissance prématurée de cette petite fille. Pendant des jours puis des semaines et ensuite des mois à l’hôpital, ils ont vécu dans l’incertitude quant à la survie de Sarita. Cependant, la communauté a fait preuve de solidarité envers cette famille. Ils ont fait régulièrement des prières, organisé les soins pour la mère et la fille, manifesté leur préoccupation de multiples façons, à travers de petits cadeaux et de l’argent offert dans un esprit de sacrifice et glissé sous la porte. Heureusement, Sarita a survécu et elle est aujourd’hui une charmante jeune fille. Au milieu des défis, la communauté est devenue un canal de guérison.
Notre école a considéré le développement de la communauté comme une priorité stratégique et a délibérément étoffé son programme d’études officiel de trois façons. Tout d’abord, nous nous engageons ensemble dans la formation spirituelle à travers des moments de prière dans les dortoirs, des cultes hebdomadaires et des temps de prière formelle et non formelle pendant la semaine et le trimestre scolaires. Les messages qui développent l’importance théologique du service et des soins mutuels comme expression de notre foi et de notre adoration établissent le cadre de notre action. Deuxièmement, nous organisons des groupes autour d’intérêts communs (p. ex. femmes, célibataires, couples mariés, athlètes, musiciens, etc.) ou des projets de service pour la communauté. Les projets de service ont lieu une fois par semestre et se terminent toujours par un repas commun – un barbecue ou “sanchocho”. Nous avons également mis en place des programmes formels tels que le “Plan nièces et neveux” dans lequel une famille “adopte” un seul élève qu’elle invitera pour un ou plusieurs repas. Les écoles peuvent élaborer de façon créative une multitude de réponses qui correspondent à leur culture et à leur milieu spécifiques. Au FUSBC, nous croyons que la communauté est thérapeutique et donc importante dans la manière de former les étudiants pour le ministère.
La vulnérabilité: source de service
Alfredo est un de nos diplômés. Il est arrivé à Medellin après avoir survécu à un massacre dans la région d’Urabá, ravagée par la guerre, près de la frontière panaméenne. Une blessure par balle lui a fait perdre 80 % de sa vue. Cependant, il se considérait chanceux d’être en vie, pour avoir fait le mort pendant plusieurs heures après qu’on lui ait tiré dessus. Avec une volonté difficile à traduire par des mots, il a terminé ses études au séminaire et a été missionnaire dans les prisons colombiennes au cours de la dernière décennie.[1] Ce cas, certes extrême, est emblématique d’une communauté où des Colombiens meurtris cherchent à aider leur pays en détresse. Trop souvent, nous croyons à un mythe, commun aux chrétiens, selon lequel seuls ceux qui sont en bonne santé vont guérir les malades. Le fait de servir comme guérisseurs ayant subi des blessures a ses propres difficultés mais, en général, nos blessures collectives ont donné aux séminaristes une grande capacité à comprendre et à partager la douleur des autres.
Au fil des années, nous avons appris que “pleurer avec ceux qui pleurent” est la clé d’un ministère dynamique, en particulier dans le contexte d’un conflit. Alors que nous encourageons nos diplômés à servir à partir de cette vulnérabilité, notre corps professoral et notre personnel font un effort conscient pour servir les étudiants à partir de notre vulnérabilité plutôt que de la force attendue. Les étudiants et les membres du corps professoral se servent de leurs histoires personnelles, dans lesquelles ont retrouvent des blessures et des faiblesses, ainsi que des dons et autres aptitudes.
Il y a quelques années, Carlos, un professeur connu pour sa rigueur intellectuelle et sa discipline personnelle, a souffert d’épuisement professionnel. Ce professeur et administrateur à plein temps, qui était très populaire parmi les étudiants, a dû cesser de travailler pendant près de deux ans et entrer dans une longue période de convalescence. Ensuite, il est retourné en classe avec une charge scolaire plus légère, mais en s’impliquant davantage dans la vie des élèves. Depuis son retour, on le retrouve souvent assis avec un étudiant dans un des cafés de la ville, offrant la sagesse obtenue de la maladie. En raison de son expérience, il a modifié son approche du conseil, passant d’une approche basée sur la supposition d’une excellence totale à une approche consciente des limites personnelles. Ce changement a fait de lui l’un des meilleurs et des plus recherchés conseillers de l’école biblique et de toute la ville.
Les liens qui unissent une communauté sont ceux des besoins communs, partagés sans prétention dans la vie quotidienne. La communauté ne se développera pas si ses membres insistent sur le fait qu’ils sont un club de bonnes pratiques avant de reconnaître qu’ils sont d’abord un groupe d’êtres imparfaits. L’impact durable du ministère découle de cette compréhension de la faiblesse et de la vulnérabilité au sein de la communauté.
La créativité en réponse aux besoins
La formation théologique se fait souvent dans le contexte des défis financiers, et notre école ne fait pas exception. La plupart des étudiants viennent avec peu ou pas d’aide financière et dans des conditions très difficiles, souvent le résultat de décennies de conflit national interne. Par conséquent, la difficulté est à la fois institutionnelle, puisque l’école s’efforce de rester opérationnelle, mais elle touche également l’ensemble de la communauté, puisque les étudiants luttent pour couvrir leurs frais de scolarité et le coût de la vie.
Dans ce contexte, nous avons vu l’extrême valeur de la créativité comme moyen de résoudre les besoins financiers. À Cuba, le “sampling vocal” est un genre de musique bien connu dans lequel les musiciens imitent les sons des instruments avec leur voix. Dans la culture musicale de Cuba, ce genre surréaliste et expérimental de chant acappella est apparu en réponse à la difficulté d’obtenir des instruments de musique. Au lieu de rester silencieux, ils ont commencé à “chanter” la trompette, les instruments à cordes et les tambours. A l’école biblique, nous avons appris à faire des “prélèvements vocaux” avec des vêtements, de la nourriture, du plaisir et, lorsque le jugement le permet, même la santé de la communauté.
Par conséquent, nous avons obtenu des résultats surprenants alors que la communauté répond aux besoins de ses membres. Certaines de ces initiatives comprennent une armoire à vêtements communautaire, où les gens donnent des vêtements usagés en excellent état que les étudiants peuvent obtenir en échange de denrées alimentaires non périssables. L’école distribue ensuite la nourriture à ceux qui en ont besoin dans la région. Sur le campus, nous avons d’autres subventions alimentaires financées par des donateurs, afin que les étudiants puissent avoir un menu quotidien équilibré, à moindre coût, ce qui améliore leur niveau nutritionnel et donc leurs résultats scolaires. Nous impliquons également les étudiants dans divers types de services à l’institution dans le cadre du soutien aux bourses qu’ils reçoivent de l’école.
Les groupes dirigés par des étudiants organisent des championnats sportifs, ont des groupes musicaux, soutiennent des projets de recherche, offrent une aide pédagogique et contribuent même à des programmes de lecture et de loisirs pour les enfants du quartier où se trouve l’école biblique. Pour fournir des soins de santé, nous tirons parti des ressources disponibles dans la ville, notamment des médecins qui pratiquent des tarifs réduits pour les membres de notre communauté, ou des professionnels de la santé qui visitent notre campus. L’école paie également un service qui couvre les urgences médicales pour les membres de la communauté.
La valeur de la diversité
L’école biblique accorde une grande importance à sa diversité qui rassemble les gens
à travers un large éventail d’origines confessionnelles, raciales, culturelles, éducatives et géographiques. Cette diversité a encore plus d’importance dans une société fragmentée comme la Colombie. À titre d’illustration, dans nos classes, nous avons d’anciens délinquants et d’anciens policiers qui se considèrent comme des frères. D’autre part, les étudiants qui n’ont pas souffert personnellement de la réalité du conflit armé ont trouvé enrichissant de vivre avec ceux qui ont souffert de ces réalités et ont risqué leur vie pour vivre leur foi.
Fernando, un artiste diplômé d’une université privée, a grandi dans une église chrétienne qui s’est concentrée sur l’évangélisation des classes professionnelles à Bogotá. Lorsqu’il est venu étudier à l’école biblique, il a rencontré des collègues dont l’histoire personnelle a changé à jamais sa vision du christianisme. L’un de ses camarades de classe était un poète, déplacé de la région d’Urabá déchirée par la guerre et qui était extrêmement sensible à l’injustice sociale. Un autre camarade de classe a passé une décennie en prison. Un troisième a étudié la théologie afin de partager l’Evangile dans le quartier où il avait été délinquant. Et un autre, avec lequel il a ensuite chanté lors de plusieurs présentations, venait d’une famille d’éleveurs d’une municipalité rurale de la côte nord qui avait été mise à prix pour avoir refusé de se joindre à la corruption politique des politiciens locaux. Inévitablement, la vie de ses camarades de classe est devenue la source première de sa créativité et aussi un élément décisif de sa propre identité chrétienne. A travers ses chansons, cette richesse a atteint de nombreux coins de l’Amérique latine. Il n’est qu’un exemple de la richesse et de l’impact profond de la diversité dans la communauté des séminaires.
Nous avons également appris qu’un étudiant luthérien et une étudiante wesleyenne peuvent être amis – et même se marier; ou qu’un pentecôtiste “allumé par le feu” peut finir par servir dans une communauté anabaptiste. En outre, cela ne se produit pas à cause de la superficialité doctrinale mais en reconnaissant la singulière réalité fondamentale suffisante de l’Evangile.
La graine du grand changement
Enfin, notre école biblique reste une institution relativement petite. Au cours de nos 70 ans d’histoire, nous avons vécu des périodes de grande turbulence nationale, dont plus de 50 ans de guerre civile entre la guérilla de gauche et l’État, la violence religieuse des années 50, la fièvre idéologique des années 70, la bataille des cartels de la drogue des années 80 et 90, et l’activité des groupes paramilitaires de droite depuis 2000.
Avec le dernier accord de paix, la Colombie est entrée dans un processus post-conflit risqué. Nombreux sont ceux qui, dans le pays, sont devenus désenchantés et las des dirigeants corrompus. Le Venezuela voisin, au début d’un conflit sanglant, lance un avertissement sans équivoque sur les dommages que la polarisation politique peut causer à une société. En attendant, nous sommes également confrontés à d’autres défis sociaux. La technologie a ouvert de nouvelles voies pour les jeunes, mais elle comporte aussi des zones d’ombre. Les adolescents sont confrontés à de nouvelles alternatives sexuelles qui engendrent des questions d’identité personnelle. Les sociopathes en ligne incitent les jeunes à se faire du mal. Au milieu de ces défis, nous continuons à réfléchir sur la pertinence et l’effet d’une institution d’enseignement théologique dont l’existence même est confrontée à des défis année après année.
Pourtant, Dieu, dans sa grâce, a donné des signes abondants et encourageants que ces efforts en valent la peine. Nous voyons des preuves externes de l’impact positif que le séminaire, par l’intermédiaire d’un diplômé, d’une publication ou d’un programme, a contribué dans la société ou dans l’église. Un autre impact, modeste mais important, est évident chez les étudiants eux-mêmes ou dans leurs familles. Actuellement, l’un de nos diplômés – marié à un autre ancien – est pasteur dans une église florissante du Sud du Chili. À 22 ans, il était déjà en prison à Medellin. Seul l’Évangile a le pouvoir miraculeux de le faire passer de la prison au pastorat, mais ce travail a surtout eu lieu dans la communauté de l’école biblique.
Dans son récit de la multiplication des pains, John enregistre qu’un garçon lui a offert ses ressources insuffisantes. Bien qu’ils ne soient presque rien par rapport au besoin urgent, Jésus non seulement les a reçus mais a utilisé ce don pour enflammer le miracle. Comme ces cinq pains, l’école biblique semble si petite devant l’immensité des besoins de la Colombie et du monde. Cependant, par cette dynamique merveilleuse et paradoxale du Royaume de Dieu, ce qui pourrait être la cause du découragement et de l’impuissance devient le bois qui alimente le feu de notre vocation. Dieu fait de grandes choses avec des instruments inattendus. L’école biblique continue d’avancer, une des nombreuses autres communautés qui marchent dans des contextes de conflit et de besoin, soutenues par cette foi qui conquiert le monde.
References
Caracol Radio. http://caracol.com.co/radio/2013/11/30/nacional/1385813160_028088.html. Last entered, April 30, 2017.
Verdad abierta. http://www.verdadabierta.com/cifras/3829-estadisticas- de-desplazamiento. Last entered, April 30, 2017.